![]() Paul est hémophile. Hospitalisé pour un saignement dans les articulations, il évalue la douleur qu’il ressent à 8 sur 10. Antoine Bioy, psychologue clinicien et hypnothérapeute au CHU Bicêtre à Paris, invite son patient à comparer sa douleur à une note de musique. Sous hypnose, Paul devient Ulysse, qui doit échapper au chant des sirènes. Après la séance et sans aucun traitement, le patient estime sa douleur équivalente à 0 ou 1 sur 10 ! Que s’est-il passé ? Que se cache-t-il exactement derrière le terme fascinant d’ « hypnose » ? Et derrière les expériences impressionnantes vues sur le petit écran où les volontaires se prêtent aux mille volontés de l’hypnotiseur : un don, un pouvoir, une aptitude ? Plus modestement, les spécialistes de l’hypnose préfèrent parler d’un état naturel.L’état hypnotique Pour la médecine actuelle, l’état hypnotique représente un atout formidable pour traiter la douleur. Quand la volonté s’échappe Aussi naturel soit-il, l’état dans lequel nous plonge l’hypnose transforme la façon dont on interagit avec le monde. En grande partie parce qu’avec l’hypnose, la volonté s’échappe. Dans une étude publiée en janvier dernier, des chercheurs israéliens ont proposé une séance d’hypnose à des volontaires, alors qu’ils étaient dans la machine d’IRM (voir encadré). On leur demandait d’oublier sciemment certains éléments d’une scène vue une semaine plus tôt. Résultat : leurs souvenirs s’effacent, sur simple demande ! Sous hypnose, c’est aussi le contrôle du corps que nous perdons. Lever le bras sur demande de l’hypnotiseur, sous hypnose, donne la sensation qu’il se lève tout seul ! L’explication à cet étrange phénomène est très rationnelle : en état hypnotique, le cortex moteur – la partie de notre cerveau qui commande les actions et les planifie – est toujours actif, alors que la zone liée à la conscience de l’action ne l’est pas. Du moins, pas avant que l’action ne soit effectuée. Mais elle l’est juste après, de la même façon qu’elle se produit quand quelqu’un vous soulève un bras brusquement, sans vous prévenir. C’est donc comme si le bras se soulevait sans la volonté de le faire ; la prise de conscience intervient quand même, mais après l’action.
Le cerveau berné par des illusions Plus influençable, plus manipulable sous hypnose, notre cerveau modifie nos perceptions sensorielles et se laisse berner par des illusions. Exemple : à l’éveil, quand on nous présente un panneau de couleur et qu’on nous demande d’imaginer qu’il est gris, nos zones cérébrales dédiées à la couleur continuent de s’activer. Impossible de bluffer le cerveau ! En revanche, sous hypnose, alors qu’il continue à voir un panneau de couleur, le cerveau de l’hypnotisé désactive les zones de la couleur quand il imagine qu’il est gris ! C’est ce qu’a montré une étude réalisée en 2 000 par des chercheurs de l’Université d’Harvard (États-Unis). Côté mémoire, le cerveau est capable de revivre « physiquement » des expériences passées, qu’il ne refait pas que se remémorer comme à l’état conscient. En 1999, Pierre Maquet, de l’Université de Liège, et Marie-Elisabeth Faymonville, anesthésiste au CHU de Liège ont demandé à des participants de repenser à des vacances agréables. Sous hypnose, les zones de leur cerveau sollicitées n’étaient pas les mêmes que celles qui s’activent en état d’éveil. Les sujets semblaient faire appel à des zones de la vision, des sensations et de la motricité, c’est-à-dire celles qui s’activent lorsque l’on vit précisément ces moments, et non quand on ne fait que s’en souvenir ! Autrement dit, sous hypnose, les sujets revivaient véritablement leurs vacances !
L’hypnose nous fait perdre le sens des réalités et gagner l’imaginaire. Pour la médecine actuelle, cet état représente surtout un atout formidable pour traiter la douleur. Sous hypnose, l’activation du cortex cingulaire antérieur (structure cérébrale qui nous permet de moduler le ressenti de douleur) peut être manipulée par le simple fait de dire au sujet, sans le faire, que l’on augmente la température de l’eau dans laquelle sa main est plongée. Et l’activité de cette structure augmente lorsque le sujet perçoit une douleur plus intense, comme pour lui permettre de mieux gérer la douleur, l’accepter et la supporter. Il semblerait que l’hypnose intervienne aussi au niveau des nerfs, par exemple, lorsqu’on nous pique la jambe : l’information qui va du nerf à la moelle épinière se trouve alors modifiée. Cette voie de recherche soulève de nombreux espoirs pour la rééducation des patients. Un retour aux sources en quelque sorte puisque l’hypnose a été réintroduite dans les hôpitaux par le biais des accouchements sans douleur. ♦
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